La vie dans les caves
Reims dans la guerre en 1915.
S’il est une image qui est devenue une sorte d’archétype de la vie à Reims durant la Première Guerre mondiale, c’est bien celle de Rémois obligés de vivre dans les caves pour échapper aux bombardements. Mais quelle est, au-delà de l’image, la réalité ?
Incontestablement, il existe dans le Reims de 1914-1918 une vie souterraine, d’autant qu’une grande partie du sous-sol rémois est pourvu de caves même si une distinction doit être faite entre les caves des maisons particulières, à l’espace réduit et peu profondes (bien que parfois sur deux niveaux) et celles des maisons de champagne (à la veille de la guerre, la maison Pommery possède 18 kilomètres de caves). Les caves des maisons de champagne continuent d’ailleurs leur activité première avec une main d’œuvre partiellement féminisée. En outre, l’armée en a réquisitionné une partie non négligeable pour y installer cantonnements ou infirmeries. Mais elles sont aussi ouvertes aux civils qui peuvent y trouver un abri.
Les caves, qu’il s’agisse de celles des particuliers ou des maisons de champagne, deviennent des habitations provisoires. Pour se procurer un minimum d’intimité on improvise des cloisons faites de toiles tendues ou de pupitres à bouteilles. Pour assurer un minimum de confort matériel on descend des matelas, quelques meubles. On fait la cuisine sur des réchauds à pétrole et, pour l’éclairage, faute d’électricité, on a recours à des bougies et à des lampes à pétrole. Quelquefois, un niveau de confort inédit est atteint, à l’image de l’appartement qu’Henri Abelé a fait installer dans les caves de sa maison de champagne après la destruction de sa maison. Les Rémois cherchent à retrouver dans cette vie souterraine le plus possible de la vie de tous les jours. On y mange, on y dort et, dans une population majoritairement constituée de femmes et d’enfants, les premières cousent ou tricotent, les seconds jouent ou font leurs devoirs. C’est aussi dans une certaine mesure un espace de sociabilité et de rencontre. Les caves servent enfin de refuge aux institutions.
Des écoles y fonctionnent. La mairie s’installera le 21 avril 1917 dans une cave appartenant à la maison de champagne Veuve Clicquot-Ponsardin. Des naissances y ont lieu. On y dit la messe. Ainsi pour ne prendre que les mois de décembre 1914 et de janvier 1915 le cardinal Luçon célèbre la messe de minuit dans les caves de la maison de champagne Roederer, un office dans les caves Mumm pour les soldats qui combattent au front et un autre, à nouveau chez Roederer, pour les soldats tués au front. Le culte protestant, lui, est donné dans les caves du champagne Krug. Enfin, Les caves sont visitées par les nombreuses personnalités françaises ou étrangères en visite à Reims.
Mais il ne faut pas surestimer l’importance de cette vie souterraine qui a souvent été exagérée par la presse parisienne et la propagande gouvernementale. Les Rémois ne vivent pas en permanence dans les caves. Certes, beaucoup s’y réfugient de temps à autre, en fonction des tirs allemands. Mais même sous les bombardements, une part importante de la population préfère rester en surface. Pour ceux qui ne disposent pas de cave à proximité, c’est une obligation. D’autres mettent en avant les conditions de vie bien peu agréables régnant dans les caves. Le froid relatif (dans les caves des maisons de champagne, il fait une température constante d’environ 10 degrés) et l’humidité sont générateurs d’inconfort et sources de troubles divers (coryzas, rhumatismes). L’atmosphère à cause des lampes à pétrole et des fourneaux de cuisine est chargée d’odeurs fortes. Enfin quelques-uns, évoquant la crainte de l’ensevelissement, n’ont pas confiance dans la solidité des caves, le phénomène touchant surtout celles des maisons particulières, effectivement beaucoup moins sûres que les caves des maisons de champagne.
Dernière mise à jour : 20 octobre 2022