Elisabeth Bourget ou Nicolas dit « Sans soucy », une femme engagée volontaire au service de la République 1792-An III (1795)

A la découverte d'une rémoise d'exception

Lors du classement du fonds Révolution-Empire (1789-1815), j’ai découvert Elisabeth Bourget à travers trois documents. J’ai voulu en savoir plus et ai mené une enquête archivistique. J’ai pu reconstituer sa vie et son parcours grâce à différents documents conservés dans différents services d’archives, mais certains détails restent inconnus. Nous ne pouvons qu’imaginer et faire des suppositions. Dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes, je vous propose de découvrir cette rémoise d'exception.

Une rémoise issue d’une famille d’ouvriers

Elisabeth Bourget est née à Reims le 10 juin 1772 dans la paroisse Saint-Jacques. Ses parents sont Guillaume Bourget et Marguerite Dartois. Elle est la première fille de la famille, quatre garçons sont nés avant elle et sept enfants naitront encore après elle (quatre garçons et trois filles) dont l’un, Nicolas, mourra âgé de 21 jours l’année suivant la naissance d’Elisabeth.

Sur un acte de naissance de l’un de ses frères et sœurs (AMCR, FFGG97), il est précisé que son père est étaminier, un métier lié au travail du tissu comme pour un bon nombre de rémois à cette époque.

Elisabeth a dû grandir à Reims, car sa famille y est établie : son dernier frère, Jean-Baptiste y est né en 1786 et l’un de ses ainés, Nicolas Raoul, s’y marie le 20 juillet 1792.

Une femme engagée comme volontaire national

La ferveur révolutionnaire ambiante et son patriotisme font qu’elle s’engage pour défendre la Patrie en danger le 1er novembre 1792 comme volontaire national. Elle a 20 ans et se présente déguisée en homme sous le prénom de Nicolas (on peut se demander si elle a usurpé l’identité de son frère décédé en 1773). Les femmes n’avaient en effet pas le droit de s’engager dans l’armée. Néanmoins, 80 femmes ont été recensées par les historiens dans les archives parlementaires durant la période révolutionnaire et l’Empire. Certaines se sont engagées sans cacher leur sexe, souvent aux cotés de leur mari, leurs frère ou leur père et d’autres déguisées en homme comme Elisabeth. On trouve de nombreux témoignages de leur bravoure sur les champs de bataille.

Il semble qu’Elisabeth quitte Reims sans prévenir ses parents, car on ne trouve aucune trace d’elle dans le registre des passeports de l’année 1792.

Il n’existe pas non plus de trace de son engagement : nous ne savons pas dans quelle ville elle s’est engagée.

Nicolas/Elisabeth est intégrée dans la 1ère compagnie du 1er bataillon dit de la Réunion de Paris qui a pour capitaine le citoyen Goliard. Ce bataillon est particulier, car bien que parrainé par la section parisienne portant le nom de La Réunion, il est formé de diverses compagnies de volontaires venus de plusieurs endroits et réunis à Meaux en décembre 1792. Le bataillon part de Meaux fin janvier et arrive à Valognes dans la Manche le 15 février. Depuis le 6 avril, il fait partie de l’armée des côtes de Cherbourg et est caserné à Saint-Vast-la-Hougue en bord de mer. Elisabeth est bien loin de la campagne crayeuse de la Marne…

Elisabeth vit comme tout soldat de son bataillon pendant cinq mois. Elle participe bravement aux combats. Mais blessée au sein le 7 avril, elle est démasquée.

Quelle surprise pour ses camarades et ses officiers ! Une femme était parmi eux et personne ne s’en était aperçu ! Peut-on en être sûr ? C’est en tout cas ce que prétendent les certificats qui lui ont été délivrés et qu’elle pourra montrer fièrement à toute occasion.

Les officiers commandant son bataillon lui donnent alors un congé de réforme qui la renvoie dans son foyer en tant que femme en précisant qu’elle a servi « en brave volontaire et que ledit certificat ne lui a été accordé que parce qu’elle a été reconnu pour femme ». Son capitaine, Goliard, lui délivre également un certificat qui la décrit comme un « bon soldat » qui a fait son service « sans reproche et avec distinction ». Un dernier certificat délivré par des sergents atteste qu’elle s’est comportée « avec honnêteté et bravoure ».

Une reconnaissance bien méritée

Elle prend donc la route pour rentrer à Reims, mais fait un détour par Paris et se présente à la Convention nationale. Elle passe entre autre par les communes de Bernay, Evreux, Vernon, Mantes-la-Jolie et Saint-Germain-en-Laye où elle est accueillie et où l’on atteste sa bonne conduite dans les registres des arrêtés municipaux des différentes communes.

Arrivée à Paris, elle est admise à la barre de la Convention nationale le 5 mai 1793 où elle lit une pétition.

Le président répond à la pétitionnaire et lui accorde les honneurs de la séance.

Battelier expose que les faits allégués par la citoyenne Bourgé sont exacts, qu’elle a servi pendant cinq mois dans les armées en qualité de volontaire, que la blessure qu’elle a eue au sein a dissipé tout son avoir. Il réclame pour elle la mention honorable et demande qu’il lui soit accordé une somme de 150 livres pour acquitter ses médecins et retourner dans ses foyers.

Thuriet appuie cette proposition.

La Convention prend le décret suivant :

« La Convention nationale, après avoir entendu la lecture de la pétition de la citoyenne Elisabeth Bourgé, née à Reims, qui a servi pendant cinq mois dans la 1ère compagnie du 1er bataillon de la Réunion, en qualité de volontaire ; sur la proposition d’un de ses membres, décrète que la Trésorerie nationale tiendra à la disposition de la dite citoyenne Elisabeth Bourgé, et lui remettra, sur la présentation du présent décret, à titre de gratification, la somme de 150 livres. La Convention décrète, en outre, qu’il sera fait mention honorable au procès-verbal du civisme et du patriotisme de la citoyenne Bourgé. »

Un retour exprès à Reims

Ce décret favorable et les 150 livres en poche Elisabeth continue son chemin vers Reims.

Arrivée à Reims, on peut supposer qu’elle se rend directement chez ses parents et que sa famille l’accueille avec soulagement, joie, etc. et sûrement beaucoup d’émotions. On imagine qu’elle retrouve ses amis, ses voisins, peut-être est-elle félicitée, fêtée…

Quelques jours après son arrivée, Elisabeth se présente à une séance du Conseil général où elle est accueillie : Elle dépose sur le bureau tous les certificats qui lui ont été délivrés ainsi qu’une copie du décret du 5 mai.
 

« Lecture faite de toutes ces pièces et le procureur de la commune entendu le conseil qui avait déjà admis la citoyenne Bourget a sa séance ou elle avait pris place a arrêté de faire ici mention de son civisme et de son patriotisme et en se félicitant de l’avoir pour citoyenne, chacun des membres du Conseil lui a donné le baiser fraternel. »

« Les citoyens membres du Conseil général de la commune se sont promis de lui procurer entre [eux] une somme à titre de secours et reconnaissance, ceux présents, ont remis leurs offrandes entre les mains du greffier comme elle est prévenue de se retirer au greffe demain pour obtenir la remise de la contribution volontaire, les citoyens qui n’étaient pas à la séance ou qui n’ont pas remis leur offrande sont priés de les remettre au porteur et d’en énoncer le montant à côté de leurs noms. »

Quand Elisabeth Bourget est reçue ce 16 mai 1793 dans la maison commune par les membres du Conseil général de Reims, quel est son état d’esprit ? Est-elle fière d’elle, de retour parmi les siens, ou est-elle déçue d’avoir été démasquée le mois dernier ? Sa famille, ses amis sont-ils près d’elle ? Et surtout connaissaient-ils ses intentions il y a environ six mois ou s’est-elle engagée sans ne rien dire à personne ?

Retour sur le champ de bataille

Elisabeth ne reste pas longtemps à Reims, on la retrouve dès le 2 juillet à Paris : dans un registre de l’état-civil reconstitué, est  mentionné son mariage avec Philippe Antoine Moineau.

Lors des recherches entreprises sur la famille Bourget, nous avons découvert qu’une famille Moineau habite la même paroisse que les Bourget. Il y a notamment des filles, âgées de 3 et 4 ans de plus qu’elle et un garçon de dix ans son aîné, Jean. Aucune trace ne mentionne un Philippe. Peut-être que Philippe était un de leur cousin qu’Elisabeth aurait rencontré lors de l’une de ses visites à sa famille ?

Son départ de Reims, entre mai et juillet, ne laisse aucune trace : elle ne fait pas enregistrer de passeport pour quitter la ville. Elle s’est peut-être mariée sans demander la permission de ses parents ?

Un peu plus d’un an après son mariage, on retrouve sa trace dans deux décrets :  elle est sur les champs de bataille de Vendée, elle semble avoir rejoint son ancien bataillon. On peut se demander si ce n’est pas son mari qu’elle accompagne ainsi car pourquoi se marier si c’est pour partir à l’autre bout de la France ? Etait-il, lui-aussi, dans le bataillon de la Réunion?

Depuis son départ des côtes normandes après sa blessure, un décret a été pris tendant à éloigner les femmes des armées. Le décret du 30 avril 1793 congédie des armées les « femmes inutiles » et n’autorise que les vivandières et blanchisseuses. Ne pouvant pas être réintégrée comme soldat elle sera vivandière !

Un nouveau décret de la Convention nationale du 5 octobre 1794 (14 vendémiaire an III) est pris en sa faveur : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition de la citoyenne Bourgès (sic), qui s’est trouvée à plusieurs affaires dans la Vendée, et qui a rendu des services à la République en soulageant les défenseurs de la patrie blessés, en les portant sur son dos jusqu’aux voitures d’ambulance, décrète ce qui suit : La trésorerie nationale paiera, sur le vu du présent décret, à la citoyenne Bourgès, la somme de 300 livres, à titre de secours. »

Un deuxième décret est rendu en sa faveur le 13 pluviôse an III (1er février 1795): « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours sur la pétition de la citoyenne Bourgès, qui a déjà reçu une indemnité pour les services importants qu’elle a rendus à nos braves frères d’armes blessés dans les combats, en se dépouillant des chemises qu’elle portait sur son corps pour panser leurs blessures, et en unissant tous les actes de courage à ceux de l’humanité et de la bienfaisance, décrète : La trésorerie nationale paiera, sur le vu du présent décret, à la citoyenne Bourgès la somme de 300 livres, à titre de secours définitif, pour les services importants qu’elle a rendus aux volontaires, blessés en combattant les rebelles de la Vendée. »

Une fin de vie parisienne

Nous ne retrouvons donc plus trace de ses exploits dans les décrets après cette date, mais elle est mentionnée habitant à Paris n°916 rue des Boucheries-Saint-Honoré en novembre 1796 dans un ouvrage consacré aux bataillons de volontaires nationaux de 1906 qui lui a dédié un paragraphe (Les volontaires nationaux pendant la Révolution. Tome III Historique militaire et états de service du 19ème bataillon de Paris, dit du Pont-Neuf au 27e (bataillon de la Réunion), des chasseurs et des compagnies franches et du bataillon levés en 1792 par L. Henet, Paris, Maison Quantin, 1906).

Que fait-elle à Paris ? Il est difficile de trouver des documents sur cette période car les Archives de Paris ont brûlé avec l’hôtel de ville en 1871.

Cependant en cherchant dans l’état-civil reconstitué de Paris, on a la chance de trouver mention de son mariage ou plutôt ses mariages. En effet elle est notée mariée par deux fois avec le même homme Philippe Antoine Moineau, une première fois le 2 juillet 1793 (comme vu précédemment) et une seconde fois le 25 nivôse an VI (14 janvier 1798).

Pourquoi s’être mariée deux fois ? Peut-être car la première fois elle n’a pas eu l’accord de ses parents ? Parce qu’ils ont divorcés ? Qu’ils ont perdus les papiers prouvent leur mariage ?

Elle finira sa vie à Paris auprès de son mari. Elle meurt le 1er avril 1809 d’une rechute de péritonite à l’hôpital de la Pitié à Paris. Son acte de décès indique qu’elle était couturière et habitait 46 quai de la Megisserie (4ème arrondissement quartier du Museum).

 

Cet article a été rédigé par Christine Meille (2023).

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Dernière mise à jour : 07 mars 2023

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